Du 17/05/2025 au 16/06/2025
Ce mois-ci, j’ai choisi de mettre à l’honneur les carnets de croquis de mon père.
Ils ont pour moi une résonance toute particulière, pour plusieurs raisons. La première, c’est que je l’ai toujours vu avec un carnet à la main. Jambes croisées, concentré, il y notait des idées, dessinait, peignait à l’aquarelle avec son petit kit portable qu’il quittait que rarement. Ces carnets faisaient partie de lui, à la fois outil de travail et prolongement de sa pensée. C’est ainsi que je l’ai connu : à travers ce geste quotidien de noter, de capter, d’exprimer.
La deuxième raison est plus intime encore : c’est dans ces carnets qu’il m’a peu à peu laissé une place. Au début peut être timidement, sur une page en coin, puis avec plus de liberté. Pouvoir dessiner dans son carnet, cet espace que je considérais comme sacré, fut pour moi une immense fierté. C’était une forme de transmission silencieuse, un lien que nous tissions à travers le trait, les couleurs, les idées.
Enfin, ces carnets sont devenus peu à peu les miens. Mon père m’emmenait dans ses papeteries préférées, où je choisissais mes propres carnets, mes stylos, mon propre kit d’aquarelle. Ce qui était une activité partagée pendant les vacances ou les week-ends s’est transformé, après sa disparition, en un geste quotidien. Il n’y avait pas un jour sans que j’ouvre mon carnet, un Moleskine, de préférence, pour effectuer un croquis, poser une idée, un potentiel projet.
C’est comme si, d’une certaine manière, j’avais pris le relais. Ou peut-être était-ce une façon de continuer à dialoguer avec lui. De lui montrer mes idées, mes projets. De le garder proche, à portée de main, entre les pages.
Ces carnets sont des lieux de mémoire vivants, les siens, les miens, les nôtres.
Lorsque je n’étais pas satisfait d’un dessin, Tony m’avait surpris en train de vouloir déchirer la page. Il me l’avait formellement interdit :
« Tu tournes la page, simplement. »
Ce geste, apparemment anodin, m’a profondément marqué. Il m’a appris à mettre de l’intention dans chacun de mes traits, mais aussi à accueillir l’imperfection, à accepter l’erreur comme une étape, non comme un échec.
Il m’a fallu du temps pour comprendre la portée de ce geste simple. Dans le carnet comme dans la vie, il n’est pas toujours question d’effacer, mais d’avancer. On ne déchire pas ce qui nous semble raté, on en fait un passage.
Chaque page, même imparfaite, construit le récit. Et parfois, ce sont justement ces traits hésitants, ces maladresses, qui sont les plus justes.
Julian
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